Dhaka
image Wahid Adnan
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image Syed Md. Rabiul Islam
image/ Jasmin Akhter
image Arifujjaman Chowdhury
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Egon Shiele et Frida Kahlo, selfportraits
photo Wahid Adnan
l ecole et le village
J’ai
quitté hier soir Chittagong,
Depuis
un an trois nouvelles compagnies d’aviation ont ouvert des lignes au Bangladesh
; l’année dernière j’avais volé dans une machine qui semblait avoir été
inventée par Jules Verne, cette année c’était un Boeing 737 neuf, avec des
hôtesses chics en pantalon, blazer et escarpins rouges écarlates…
Depuis
48 heures, j’ai l’impression qu’il s’est passé 3 mois !
Je suis
arrivé à Chittagong, il y a exactement 15 jours, le teint gris, les yeux
cernés, les joues creuses, j’en suis reparti hier avec 3 kg de plus, bronzé et
avec un grand sentiment de plénitude.
Avant
d’oublier, qu’est ce que je dois raconter ?
La
soirée il y a trois jours chez D. al Mamun, un artiste, sa femme elle-même
artiste et un autre couple d’artiste et de critique, en compagnie de Roopam et
Sten.
L’appartement
en haut d’une tour, magnifiquement décoré d’objets tribaux, de statues, de
Dieux hindous, de ganymèdes birmans… me faisait penser avec ses grandes baies
vitrées, ouvertes sur les lumières de Chittagong à l’appartement de La
corde de Hitchcock à New York.
Le
lendemain matin, avec Roopam et deux copines à elle, je me suis rendu à 1 heure
de Chittagong dans une école ouverte par une américaine pour les enfants d’un
village.
Le
voyage en voiture était drôle, l’une des femmes, épouse d’un diplomate penjabi,
intelligente, bourgeoise et superficielle parlait non-stop dans un anglais
hyper rapide et toujours au bord de l’éclat de rire.
Je
distinguais de cette avalanche de mots quelques bribes, de nombreuses fois les roupies…
étaient citées, et une exclamation qui ponctuait presque toutes ses phrases «
Can you imagine !!!».
Le plus
burlesque a été à un moment où nous étions immobilisés à un feu rouge et où une
armée de lépreux sont venus autour de la voiture… elle s’est exclamée avec
emphase « Can you imagine …être dans cet état » de la même façon
qu’elle décrivait les belles faïences exportées d’un appartement témoin qu’elle
avait visité la veille…
A
l’école, j’ai présenté le tableau du Roi de Thaïlande fraîchement encadré.
Je leur
ai un peu raconté, comment j’avais fait ce tableau et leur ai demandé
d’imaginer le portrait de la Reine, pour voir s’ils étaient plus forts que Pierre
et Gilles !
C’était
drôle de voir ces petits bengalis dans cette minuscule école High-Tech
surplombant les rizières et les maisons rudimentaires du village.
Ils
avaient de jolis vêtements colorés de grands yeux curieux, et de regarder leurs
petites mains caramels dessiner le portrait de la Reine de Thaïlande m’a
rappelé Bishnupur, il y a 4 ans.
J’ai
enchaîné tout de suite avec le vernissage.
Les
visiteurs étaient nombreux et tous les étudiants étaient là. J’étais aussi
heureux qu’eux de ces 6 jours de création commune. Le résultat est expérimental
mais la plupart n’avaient jamais touché un ordinateur avant. Ce n’est pas ça le
plus important. Ce qui a été génial, qui semble les réjouir et qui me vaut peut-être leur
reconnaissance c’est de les avoir poussé dans leurs retranchements pour libérer
leur imagination.
Leurs
yeux brillaient de plaisir et c’était très agréable à regarder.
Ils
avaient tous des petits paquets et ils m’ont offert une multitude de cadeaux,
des statuettes en terre cuite, un bouddha, des films, de nombreux disques, des
reproductions de peinture… et un collage très drôle où on voit ma tête sur
l’écran lumineux géant d’un carrefour de Chittagong.
Leur
humour, leur gravité, leurs désirs et leur humanité y sont pour beaucoup dans ce
sentiment de plénitude que je ressens aujourd’hui.
Ce qui
y a été pour beaucoup aussi, et je ne veux pas m’étendre la-dessus (car je pense
qu’il lit le blog !) c’est l’entente et l’harmonie parfaite professionnellement
et amicalement que nous avons Sten et moi, sans parler des innombrables
discussions et des fou rire le soir sur le balcon tous les trois avec Roopam.
J’ai
adoré ces moments.
Le soir
du vernissage Adil et Sharmeen Husain avaient organisé une soirée chez eux,
dans leur somptueuse villa. On se croirait à Beverly-Hills, les corbeaux en
plus.
Il y
avait le consul de Russie, des hommes d’affaires, Rois de la crevette, de
plantations de thé ou de mangues, et leurs épouses élégantes.
Tous
ces gens me disaient « alors c’est vous que nous sommes venus voir ». Je ne le savais pas...
En
France cela m’aurait ennuyé, à Chittagong ça me réjouit.
Les
bengali sont comme les iraniens, ils ont beau être hommes d’affaires, ces
hommes qui fument le cigare sur la véranda lorsqu’ils me parlent,
m’entretiennent de littérature, de musique, de poésie, de la beauté des
saisons, de leurs histoires d’amour passées…
Il y
avait un couple avec qui j’ai longuement discuté. Lui était beau et costaud
comme un bonhomme Michelin avec une voix de chanteur d’opéra, elle, élégante et
pétillante, en sari, fumait le cigarillo.
Ca m’a
fait rire, lorsqu’ils m’ont dit « viens on va discuter sur la balancelle c’est
plus agréable de parler en se balançant ». J’adore ces détails.
Adil et
Sharmeen, en me disant au revoir m’ont donné une belle lettre et m’ont offert,
un Longhi blanc et ce qu’on appelle ici un châle dans un magnifique tissu.
Lorsqu’il fait frais dans le Bengale, les hommes enroulent autour de leur Kurta amidonnée
une sorte de longue couverture légère dans laquelle ils se drapent. Cela leur
donne des airs de princes babyloniens.
Le plus
curieux, c’est que dans cette culture que j’ignorais il y a dix ans, je suis
comme un poisson dans l’eau. Elle m’est plus naturelle et familière que celle
d’où je viens. Je me sens à l’aise, et ce que ces bengali me renvoient et la
façon dont ils m’ouvrent leur porte me montre qu’ils ont compris ça chez moi.
J’en suis heureux et même un peu fier car je me reconnais et me découvre en
eux.
La
dernière journée à Chittagong a été calme. Avec Sumadri nous sommes allés
manger des crevettes massala dans le jardin d’un restaurant en plein air.
Cette
curieuse habitude de me faire des amis à Bombay, Chittagong ou Téhéran est
embêtante, car on ne sait jamais quand, ou si, on va les retrouver.
Les
moments partagés avec Sumadri vont me manquer comme ceux que je partage avec
Parimala.
Mais
avec Parimala nous avons réussit l’exploit de nous voir plusieurs fois par an ;
avec Sumadri…
Il m’a
raccompagné chez Sten, et nous étions silencieux dans cette lumière orangée de
fin d’après-midi. Nous avons abrégé les adieux, et j’aime beaucoup cette façon
qu’il a de m’appeler, Pascal dada, qui veut dire en bangla grand
frère.
Roopam
avait profité de la journée pour rédiger l’article sur mon travail qu’elle va
adresser aux revues d’Art.
J’ai lu
l’article : juste, intelligent et magnifiquement écrit, avec de très belles
images littéraires.
Roopam,
Sten et leur joli dalmatien m’ont accompagné à la nuit tombée à l’aéroport.
Je
n’avais pas envie de quitter Chittagong comme une orange n’a pas envie de
quitter l’arbre pour se retrouver au frigidaire.
Roopam
et Sten, je sais que je vais les revoir à Paris dans quelques mois… et cette
idée est agréable.
Pour
Chittagong, Sumadri ou les étudiants je m’en remets au hasard de la vie et aux
bonnes étoiles du Bengale.
Je suis
depuis hier dans ma nouvelle maison.
Ambrosia
Guest-House, une jolie villa fleurie au cœur du chaos de Dhaka.
Ma
chambre est grande et agréable. J’ai rangé mes chemises et mes kurta repassées
dans l’armoire et je me prépare au deuxième épisode de ce séjour.